Sciences et Avenir a interrogé Jean-Marie Robine, directeur du laboratoire démographie et santé de l’INSERM. Le chercheur donne son opinion sur l'évolution de la longévité humaine, vous trouverez ici son interview In extenso.
De très nombreuses valeurs ont été avancées au cours de l’histoire mais petit à petit deux chiffres ont émergé de la littérature, 70 ans et 100 ans, 70 ans comme l’âge ordinaire pour mourir et 100 ans comme une valeur exceptionnelle que certains pourraient atteindre. La valeur de 70 ans trouvait des arguments en sa faveur dans des textes anciens comme dans les premières statistiques de décès disponibles à partir de la moitié du 18ième siècle. La valeur de 100 ans était d’une nature plus mystérieuse et a vite été prise comme la limite de la longévité humaine. Quoiqu’il en soit ces deux valeurs se sont établies comme des constantes, l’une pour l’âge ordinaire, l’autre pour la limite de la longévité. Personne n’a jamais imaginé jusqu’à très récemment, sauf exception rare comme le Marquis de Condorcet à la veille de sa mort, que les caractéristiques de la longévité humaine puissent changer au cours du temps ; ce qui changeait c’était le niveau de la mortalité des enfants et l’importance de la mortalité prématurée. La mortalité des personnes âgées ne changeait pas, ne pouvait pas changer.
Pendant longtemps la valeur de 100 ans n’a pas été menacée car le nombre des centenaires restaient rares même s’ils n’étaient plus exceptionnels comme ils l’avaient été tout au long du 19ième siècle. « 100 ans » faisaient donc toujours l’affaire comme la valeur limite de la longévité humaine. Il a fallu attendre les années 1990 pour que quelques chercheurs en France ou au Danemark s’interrogent sur l’augmentation du nombre des centenaires qui devenait patente dans les pays les plus développés. Ces chercheurs ont alors montré que le nombre des centenaires doublait environ tous les dix ans depuis 1960. Dans ces conditions « 100 ans » ne pouvaient plus constituer une limite de la vie. On vit d’ailleurs la parution de nombreuses publications où les auteurs reculaient pied à pied face à l’avancée de la longévité en proposant les limites successives de 110 ans, 112 ans, 115 ans puis 120 ans. Le record de 122 ans établi par Jeanne Calment en 1997 a mis fin provisoirement à ces publications car le recul devait être trop grand. Toutefois, on trouve aujourd’hui quelque fois la valeur de 125 ans proposée comme la limite de la longévité humaine.
Plus sérieusement ce formidable accroissement du nombre des centenaires, plus de 36000 vivant aujourd’hui au Japon par exemple, et des âges atteints les plus élevés déclarés chaque année à l’occasion des décès, passant de l’âge de 100 ans à l’âge de 115 ans depuis le milieu du 20ième siècle, nous a fait prendre conscience que la longévité n’est pas que biologique mais le résultat d’une interaction avec l’environnement dans lequel nous vivons, c'est-à-dire avec notre civilisation, notre mode de vie. Aujourd’hui peu de chercheurs continuent à penser que nous sommes limités en termes d’âge. Par exemple que l’homme ne peut pas vivre plus de 130 ans pour telle ou telle raison biologique. Tout dépend de la vitesse à laquelle notre organisme vieillit et cette vitesse là est sûrement déterminée par l’environnement. Dans un environnement très défavorable la plupart des enfants meurent, les adultes ne vivent pas très longtemps et les plus âgés n’atteignent pas 80 ans. Dans les conditions d’aujourd’hui, plus de 99 pourcent des enfants deviennent des adultes, les adultes vivent de plus en plus longtemps et les plus âgés atteignent 115 ans. Qu’en sera-t-il dans l’environnement du futur ?
Mais pour répondre à cette question, il faut examiner la seconde valeur proposée pour la longévité des adultes, celle de la longévité ordinaire, à savoir 70 ans. Si la valeur de « 100 ans » a pu être questionnée, c’est parce que l’intérêt pour les plus âgés, l’ancêtre du village ou le doyen de français, a montré que « 100 ans » ne correspondaient plus à la réalité. Mais là rien de pareil, si certains s’intéressent à la mortalité des enfants et à l’espérance de vie à la naissance et d’autre aux limites de la longévité humaine, personne ne s’intéresse à la longévité ordinaire des adultes. Or celle-ci a changé depuis le 18ième siècle. Elle n’est plus de 70 ans. Mesurée par l’âge au décès le plus fréquent des adultes, la longévité ordinaire des femmes a atteint 80 ans au lendemain de la deuxième guerre mondiale et, augmentant depuis régulièrement de plus de 2 mois par an, a aujourd’hui dépassé 90 ans dans des pays comme la France, la Suisse ou le Japon.
Nous savons désormais que la durée de nos vies adultes dépend en partie de notre environnement. Depuis quelques dizaines d’années, nous nous préoccupons de plus en plus de celui-ci, cherchant à le préserver ou à le dépolluer. Jusqu’à présent tous les progrès cumulés de nos activités de la vie courante (urbanisation, transports, système de soins, mode de vie, conditions de travail, dépollution…) ont conduit à un gain de longévité ordinaire de plus de 2 mois par an (environ un an tout les 5 ans). Dans certain pays les gains sont plus faibles aux âges extrêmes. On parle alors de compression de la mortalité. Dans d’autres comme le Japon, il semble que les âges extrêmes puissent augmenter d’autant. On parle alors de décalage de la mortalité. Quoiqu’il en soit si dans les 25 prochaines années nous faisons aussi bien qu’au cours de 25 dernières années, ni mieux ni moins bien, nous pouvons espérer augmenter la longévité ordinaire de 5 années ; celle-ci dépassera alors 95 ans pour les femmes et leur longévité limite sera de l’ordre de « 120 ans ». Si nous faisons moins bien, ce sera moins. Si nous faisons mieux, ce que nous croyons tous compte-tenu de notre prise de conscience des questions environnementales, ce sera plus. De combien ? Seule l’histoire nous le dira.
L’histoire nous dira aussi si les biologistes ont fait des découvertes majeures conduisant à modifier le vieillissement des hommes, non pas simplement à le ralentir comme peut le faire une amélioration de l’environnement. Si c’est le cas, l’expérience du passée n’est pas d’une grande aide pour déterminer quelle sera la longévité de l’homme dans le futur.
Propos recueillis par J.Ignasse
Sciences-et-Avenir.com
15/07/2009
http://tempsreel.nouvelobs.com