Édition du lundi 20 juillet 2009
Le Collège des médecins du Québec entend faire légaliser l'euthanasie. Son secrétaire, le Dr Yves Robert, a confirmé la nouvelle au Globe and Mail, suivant ainsi la recommandation attendue d'un groupe d'étude sur l'éthique. Le rapport final, prévu pour l'automne, suscite déjà l'intérêt du ministre québécois de la Santé, Yves Bolduc. Mais un tel changement en bioéthique semble encore loin d'être acquis.
Le groupe d'étude a conclu, rapporte le Globe, que la société québécoise a suffisamment «évolué» pour tolérer, en certaines circonstances, le recours à l'euthanasie. Car seuls quelques rares pays l'ont fait à ce jour. La question, qui reste fort controversée, ne serait pas tranchée, le cas échéant, à Québec, mais à Ottawa. Or, le ministre de la Justice, Rob Nicholson, a fait savoir que son gouvernement n'envisage rien de tel présentement.
À en juger par les réactions que le Globe a recueillies ailleurs au pays, le débat, s'il a lieu, restera passionné, sinon orageux. À la veille d'une campagne électorale, un tel enjeu, pourrait-on croire, devrait naturellement faire partie des discussions. Or cela est peu probable. Les partis politiques étant pour la plupart divisés entre partisans et adversaires de l'euthanasie, le sujet risque d'être escamoté. Pourquoi alors, demanderont certains, rouvrir le dossier?
De plus en plus de gens sont favorables à l'euthanasie, et par conséquent, davantage de médecins font face aux demandes de patients en fin de vie. En même temps, l'euthanasie étant toujours illégale au pays, les médecins qui acceptent d'y recourir risquent de heurter des familles et d'autres professionnels de la santé opposés à la «mort assistée». Les médecins eux-mêmes, du reste, sont encore divisés. Est-ce l'impasse?
Le groupe d'étude du Collège, faut-il comprendre, aurait trouvé une voie mitoyenne entre le suicide assisté, qu'il semble réprouver, et le refus d'abréger les souffrances d'une personne en fin de vie. La protection du public intime au Collège d'empêcher les abus, mais il lui appartient aussi de préciser le devoir médical en pareille circonstance, d'autant plus que les conditions de pratique -- traitements, démographie, conceptions de la vie, ressources disponibles -- changent en profondeur.
Paradoxalement, s'il faut en croire le Dr Robert, le Collège veut amener le Parlement à modifier le code criminel, mais souhaite éviter un débat qui «ne règle rien». Les jugements que la Cour suprême a rendus -- dans les affaires Sue Rodriguez, par exemple, ou Robert Latimer -- n'ont pas mis fin, il est vrai, aux conflits de philosophie morale sur l'euthanasie. Et un projet de loi d'un membre du Bloc aux Communes, Francine Lalonde, est toujours en suspens.
Le Dr Robert croit possible d'en venir à une redéfinition du rôle du médecin qui accompagne un patient dont la mort est devenue inévitable et auquel il offrirait toute l'assistance voulue pour partir dans la dignité. «Il n'y a pas un politicien ou un avocat qui peut me dire ce que cela comporte», a-t-il déclaré au correspondant du Globe à Québec, Rhéal Séguin.
Le commentaire étonne quelque peu, car, sauf erreur, nul n'a soutenu que l'euthanasie ne soit pas aussi une question juridique, ou qu'il s'agisse d'abord et avant tout d'un problème médical. Ni, non plus, qu'une autorité provinciale, et non plus le pouvoir fédéral, puisse en décider. En matière de pratique ou d'éthique, le Collège lui-même tient sa compétence de l'Assemblée nationale. Il ne saurait éviter que des élus ou des juristes interviennent dans l'établissement d'un régime de fin de vie.
Néanmoins, pour les adeptes du droit de mourir dans la dignité, la décision du Collège est bienvenue. Ainsi, Yvon Bureau, un travailleur social qui en a fait la cause de sa vie, y voit une approche à la fois «audacieuse, prudente et réaliste». C'est, à son avis, un grand pas en avant, qui aura une influence importante ailleurs au Canada.
Cette approche repose sur trois conditions, a précisé le Dr Robert. D'abord, il faut respecter la volonté du patient. De plus, des règles claires doivent prévenir les abus. Enfin, le médecin doit participer à la prise de décision, non en être un simple exécutant. Ces conditions, pourtant, ne vont pas sans soulever des questions. Que faire si le patient n'est plus en état d'exprimer sa volonté? Le médecin peut-il influencer la décision d'une personne souvent démunie? Enfin, comment serait assuré le respect des règles?
D'autres s'opposent à l'euthanasie pour des motifs différents. Ils y voient une menace au développement des soins palliatifs et une mesure qui risque de freiner le développement du contrôle de la douleur. La souffrance, en effet, est le principal argument invoqué au soutien de la «mort en douceur». Nombre de gens n'en viendraient pas à cette extrémité, dit-on, s'ils avaient accès à de meilleurs soins. À la Société canadienne des médecins en soins palliatifs, la nouvelle présidente, Ingrid de Kock, a déclaré que ses membres allaient s'opposer à toute tentative de modifier la loi.
À vrai dire, le contexte risque de changer radicalement ces toutes prochaines années. Des gouvernements fortement déficitaires feront face à des demandes budgétaires de plus en plus pressantes, surtout en matière de santé. Les fonds déjà insuffisants pour les soins palliatifs risquent de l'être encore davantage, rendant d'autant plus aiguë la pression en faveur de l'euthanasie. Le débat sur la compassion est donc à peine commencé.
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Jean-Claude Leclerc enseigne le journalisme à l'Université de Montréal.