miércoles, 22 de abril de 2009

Les « déclarations éthiques de renonciation »mettent en péril le principe de solidarité de l'assurance-maladie

Les « déclarations éthiques de renonciation »
mettent en péril le principe de solidarité de l'assurance-maladie
Prise de position N° 12/2006
Commission nationale d’éthique pour la médecine humaine
Office fédéral de la santé publique 3003 Berne
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Les contrats spéciaux prévoyant que l’assuré renonce, pour des motifs moraux,
à des prestations couvertes par l’assurance de base, comme l’interruption de
grossesse, minent le principe de solidarité. Une désolidarisation récompensée
financièrement ne peut pas être éthique. Les déclarations de renonciation
donnent une image erronée de la situation et exercent une pression sur
l’assuré. La Commission nationale d'éthique recommande au législateur
d'examiner si la renonciation à des prestations de base est en contradiction
avec la loi sur l'assurance-maladie (LAMal).
En Suisse, certaines associations proposent des contrats spéciaux avec des caissesmaladie
qui accordent des réductions de primes contre la renonciation à certaines
prestations considérées comme étant condamnables du point de vue moral. Parmi elles
figurent l’interruption de grossesse, les méthodes invasives de diagnostic prénatal
comme l’amniocentèse ou le prélèvement de villosités choriales, la fécondation in vitro ou
la thérapie de substitution de la drogue par la méthadone.
1 Des réductions pour la renonciation volontaire à des prestations de l’assurancemaladie
de base et complémentaire
La commission a eu connaissance de deux modèles différents. Le premier ne prévoit de
réductions que sur l'assurance complémentaire ; la prime de l'assurance de base reste
inchangée. Le deuxième modèle prévoit également une renonciation à des prestations et
même, en cas de besoin, au remboursement de celles liées à une interruption de
grossesse - obligatoirement couverte par l'assurance de base. Par là, il est suggéré que
l’assurance de base ne finance pas les interruptions de grossesse. Dans les deux cas, la
personne assurée doit signer une déclaration de renonciation.
Pour les caisses-maladie également, ces modèles sont intéressants sur le plan financier.
L’avantage pour elles pourrait être l’augmentation du taux de jeunes assurés ou encore la
fidélisation des assurés par un contrat collectif, plus facile à gérer.
2 Les déclarations éthiques de renonciation créent un collectif moral à part
Pour les deux modèles, le contact avec les assurés est noué par une association prônant
une idéologie relevant du « droit à la vie ». Les assurés sont supposés être d’abord
motivés par des considérations morales. « Réduire les primes, tout en faisant une bonne
action », lit-on sur la déclaration de renonciation de l’Aide suisse pour la mère et l’enfant.
L’association va même jusqu’à l’intituler « Déclaration éthique de renonciation ». Les
déclarations correspondantes de Pro Life s’adressent à des personnes « ayant pour but
principal de protéger la vie dans toutes ses phases » et opposées à l’avortement, celui-ci
étant décrit comme « homicide ». Le système repose sur la répugnance des adversaires
de l’avortement, simple à comprendre et motivée par des considérations morales, de
devoir co-financer, par leurs primes d’assurance et de manière collective, les
interruptions de grossesse. La formule proposée implique la formation d’un collectif moral
à part et constitue un contrat spécial portant sur l’assurance de base qui exclut la
prestation rejetée.
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3 La solidarité est refusée à ceux qui pensent différemment
La Commission nationale d’éthique exprime sa préoccupation face à ce genre de contrats
qui impliquent des renonciations à des prestations pour des motifs moraux parce qu’ils
sapent le principe de la solidarité. Il s’agit d'une pratique de désolidarisation - en partie
déguisée - qui est en contradiction avec les bases éthiques prônées par le système
sanitaire suisse. Ceux qui ne veulent pas recourir à la prestation en question se
regroupent et peuvent obtenir une réduction correspondante de leurs primes
d’assurance. Les autres, qui n’y renoncent pas, restent affiliés dans le « pool ». Les
coûts, répartis sur un nombre plus petit d’individus, augmentent inévitablement. Se
fondant sur leurs convictions morales, les personnes qui renoncent à la prestation
refusent de coopérer avec la communauté et se désolidarisent de ceux qui pensent
différemment. Ils regroupent les « bons » assurés et discriminent les « mauvais », qui se
voient refuser la réduction parce qu'ils ont une autre conception morale. Si la solidarité
est censée être une valeur essentielle de la santé publique, on ne peut appeler
« éthiques » de tels contrats.
La différenciation de groupes d’assurés en fonction de leurs convictions morales est une
atteinte inadmissible à la sphère privée des assurés par le système de santé. Selon la
commission, une conviction morale de devrait en aucun cas être un argument valide pour
obtenir des réductions de la part des caisses-maladie. Inversement, les règles de la
solidarité financière ne sauraient être enfreintes en raison d’une condamnation morale.
Cette différenciation est, en outre, contestable car elle pourrait mener à ce que le
principe de l’exception s’étende au détriment de la solidarité de la communauté. Les nonfumeurs
pourraient se mobiliser contre les fumeurs, les adversaires de la transplantation
d’organes contre les partisans de cette intervention, les défenseurs de la médecine
alternative contre les patients traités par la médecine classique, les sportifs contre les
sédentaires et, finalement, les hommes contre les femmes, les jeunes contre les aînés.
Les centres de fitness pourraient faire de la publicité en proposant des contrats collectifs
moins chers. Alors, les plus démunis seraient peut-être obligés de souscrire des contrats
abordables pour eux, mais qui les privent d’une partie des prestations médicales de base.
Pour cette raison également, ces contrats ne méritent pas l'attribut « éthique ». La
désolidarisation est la mauvaise piste pour enrayer l'augmentation des coûts.
4 L’information sur la renonciation doit être complète
Il y a lieu de douter que les assurés démarchés ont vraiment bénéficié d'une information
équitable et transparente. L'Aide suisse pour la mère et l'enfant écrit, certes, sur son site
« Si, malgré la signature de la renonciation, quelqu’un voulait profiter de certaines
prestations, il lui est tout à fait possible de se retirer du contrat collectif ». Mais les
déclarations de renonciation demandent (dans les deux modèles) que l’on se déclare prêt
à payer soi-même la totalité des coûts si l’on devait, malgré tout, avoir besoin des
prestations en question. Les assurés sont laissés dans l'ignorance du droit effectivement
applicable dans ces cas. En réalité, la caisse en question doit quand même rembourser
l'interruption de grossesse parce que cette intervention est inscrite au catalogue des
prestations de base, conformément à la loi sur l'assurance-maladie. Un simple avis de
révocation suffirait1, et un changement de caisse ne serait pas nécessaire. En effet, la
femme qui en serait concernée ne devrait pas financer elle-même l’interruption de
grossesse. Mais ce fait est passé sous silence. Au contraire, les femmes sont soumises à
la crainte de graves conséquences financières si elles décidaient d’interrompre une
grossesse non désirée.
1 Art. 23, al. 1, Loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales, RS 830.1
« L’ayant droit peut renoncer à des prestations qui lui sont dues. La renonciation peut être en tout temps
révoquée pour l’avenir. La renonciation et la révocation font l’objet d’une déclaration écrite. »
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5 Les enfants ne devraient pas être poussés à des déclarations de renonciation
Sur son site Internet, Pro Life utilise comme argument publicitaire2 que l’avortement et
les coûts qui en résultent pourraient atteindre un montant à six chiffres et qu’il serait une
cause supplémentaire de la constante augmentation des primes. On implique par là qu’un
nombre croissant d’interruptions de grossesse fait grimper les primes, ce qui n’est pas
vrai. De plus, les déclarations de renonciation contiennent des éléments contraires au
principe du consentement éclairé : celle émise par l’Aide suisse pour la mère et l'enfant
invite les garçons et les filles à partir de 13 ans d’y souscrire. La déclaration de Pro Life
contient l’obligation de demander à ses propres enfants de la signer également dès qu’ils
atteignent l’âge de 16 ans. Si ces mesures augmentent efficacement le nombre de
membres, elles ne permettent pas une décision libre.
Il faut également se demander si ces contrats spéciaux répondent vraiment aux principes
éthiques des groupes qui prônent ces déclarations de renonciation. Car ici, il n’est pas
seulement question de refuser l’interruption de grossesse en soi, mais de se séparer de
la communauté solidaire qui doit protéger des conséquences financières une femme
ayant une grossesse indésirée ou un toxicomane qui doit être traité à la méthadone. En
tout cas, cette démarche ne répond pas à l’esprit du droit de l'assurance maladie, qui
mise sur la solidarité pour le catalogue des prestations médicales de base.
6 Recommandations sur la situation juridique
Les déclarations de renonciation relèvent de l’application de l’art. 23 de la loi fédérale sur
la partie générale du droit des assurances sociales. La commission relève qu’une
renonciation à une prestation est fondamentalement prévue dans la loi fédérale. Mais ce
principe général n’a pas été posé en vue d’autoriser des renonciations aux prestations de
l’assurance de base. Son application à l’assurance de base met en péril le principe de
solidarité et, par-là, les bases mêmes de l’assurance-maladie. Pour prévenir pareille
situation, la loi devrait exclure la renonciation volontaire à des prestations de l’assurance
de base.