Avant de quitter la maternité avec leur petite Colette, âgée de 3 jours, Nolwenn et son compagnon doivent accomplir une ultime formalité : la consultation génétique. Depuis le 1er janvier 2018, ce rendez-vous a été rendu obligatoire par la Sécurité sociale. Pas question de laisser les jeunes parents découvrir seuls, sur un site internet sécurisé, le patrimoine génétique de leur enfant comme cela se pratique aux Etats-Unis. Trop de mauvaises interprétations pouvant entraîner des drames... En France, le test est effectué en milieu hospitalier et seuls des médecins spécialisés sont habilités à délivrer le fameux« certificat génotypique ». Et tant pis si la plupart des gens continuent de faire, en toute illégalité, leur test via internet où, pour 12 euros, ils obtiennent d'un laboratoire chinois la meilleure qualité de séquençage au monde de leur génome...
Une pointe d'émotion envahit les jeunes parents : et si leur fille était atteinte d'une maladie génétique rare ? Mieux vaut ne pas y penser, se dit Nolwenn, dont la cousine a été emportée en 2006 par la myopathie de Duchenne, à l'âge de 12 ans. Heureusement, aujourd'hui, des thérapies géniques existent... Le médecin les accueille avec un large sourire. Sur son bureau, un CD-Rom renferme le patrimoine génétique de leur enfant décodé à partir d'un prélèvement effectué sur le cordon ombilical. «Votre fille n'est pas porteuse du gène de la myopathie», commence le médecin. Ouf ! «En revanche, poursuit-il, elle a une assez forte prédisposition au surpoids, d'autant qu'elle a la "dent sucrée",... probabilité élevée de problèmes circulatoires... pourrait mal réagir aux antidépresseurs... prédisposition moyenne au cancer du sein...» Les parents tentent d'absorber ce flot d'informations que le praticien conclut d'une série de recommandations : «Attention aux sucres, pensez à l'exercice physique, pas de tabac, bien sûr... et surtout des mammographies régulières!» Dans son couffin, Colette ouvre les yeux et se met à pleurer. Le médecin éclate de rire : «Pas tout de suite, bien sûr, jeune fille!»
Une transformation en profondeur
De la science-fiction ? Non, ce scénario futuriste est assez proche de la réalité des années 2015-2020. Car la révolution génétique est en marche, transformant en profondeur la médecine et notre façon d'appréhender la vie. Avec l'espoir fou de réaliser ce rêve aussi vieux que l'homme existe : connaître l'avenir.
«Jusqu'à présent, la médecine était capable d'anticiper des risques ou des maladies sur des périodes courtes. La génétique bouleverse tout cela», explique Laurent Alexandre, médecin et chercheur, ex-patron du site Doctissimo.fr. On n'est qu'au début de l'histoire, mais c'est une dynamique explosive!»
La connaissance intime du patrimoine génétique de chacun livre des informations d'une portée considérable : est-on porteur du gène d'une terrible maladie ? A-t-on une forte prédisposition à certains cancers ? Comment réagit-on à certains médicaments ? Jusqu'au goût et à l'odorat qui sont inscrits dans notre ADN ! On a recensé pas moins de 380 gènes capteurs d'odeurs.
Aujourd'hui, l'accès à la totalité de ces informations est réservé à quelques richissimes aventuriers de la science prêts à payer des centaines de milliers de dollars pour savoir de quoi ils vont mourir... Ou du moins de quelles maladies ils risquent d'être atteints. L'Américain Craig Venter, l'un des premiers à avoir proposé un séquençage du génome humain en 2002, n'a pas résisté à la tentation de décoder son propre patrimoine. Il a ainsi découvert qu'il était porteur d'un gène augmentant son risque d'infarctus et de maladie d'Alzheimer. Depuis, il suit un traitement préventif. Quatre ans plus tard, en 2006, James Watson, l'un des savants qui ont découvert le rôle de l'ADN en 1953, s'est fait lui aussi séquencer son génome... à la condition expresse qu'on retire toute information sur le gène indiquant s'il est ou non porteur de la maladie d'Alzheimer. Sa propre mère en était atteinte et sir James ne voulait rien savoir. A 85 ans aujourd'hui, il se porte comme un charme !
Certes, les tests génétiques existent depuis une quinzaine d'années. On a ainsi identifié les gènes d'un millier de maladies rares - myopathie, leucodystrophie, maladie de Huntington... - ou les gènes de prédisposition à plusieurs cancers, notamment certains cancers du sein et du colon. Mais la majorité des 5 000 maladies génétiques recensées reste un mystère.
Le décodage complet du patrimoine génétique donne un formidable coup de fouet à toute cette science. Il ouvre de vastes champs de découverte et, à mesure qu'ils se multiplient, place le génome à la portée de tous. «On n'en est qu'au débroussaillage. On sait comment séquencer le génome, mais on ne sait pas à quoi servent les trois quarts de ce qu'il y a dedans», prévient Frédéric Dardel, professeur de biologie moléculaire à l'université Paris-Descartes et coauteur d'un excellent ouvrage de vulgarisation sur la conquête du génome *. Le champ d'exploration est effectivement vaste puisqu'on pense que chaque être humain possède un peu plus de 20 000 gènes... Sans parler de l'influence des gènes entre eux.
Pour l'heure, le décodage complet d'ADN reste un événement. A ce jour, une quinzaine d'individus dans le monde auraient leur génome entièrement séquencé. Mais un chiffre précis est difficile à avancer tant les initiatives en ce domaine foisonnent. L'été dernier, raconte Frédéric Dardel, les Chinois sont entrés de plain-pied dans la course en décodant le patrimoine génétique d'un Han (l'ethnie dominante en Chine) pour la modique somme de 300 000 dollars.
Les généticiens maîtrisent de mieux en mieux la technique. «Le coût d'un décodage complet de génome s'effondre de mois en mois, explique Laurent Alexandre, qui prédit qu'il sera à 10000dollars à la fin de l'année et à 50dollars en 2015» ! Il est plus rapide aussi : une machine de séquençage - à peine plus grosse qu'un robot électroménager - met aujourd'hui une petite semaine à déchiffrer un génome.
Une carte génétique des risques cardiaques
Parallèlement se sont développés des tests plus rapides et moins coûteux, utilisant une technique différente : il s'agit de passer en revue sur la chaîne de l'ADN tous les endroits où une anomalie peut exister (lire page22). Ces tests prolifèrent sur internet. Le magazine américain Time a même décerné l'an dernier au test de la société 23andMe le titre d'invention de l'année. Des tests ciblés (pour le cancer du sein, par exemple) sont également en vente libre aux Etats-Unis.
Cette banalisation est en train de bouleverser toute la médecine. Car l'enjeu n'est pas tant de découvrir si vous avez les yeux bleus ou si vous ne détectez pas l'amertume du brocoli (si, si ! il existe un gène pour ça aussi), en principe vous le savez déjà. Il s'agit pour l'essentiel de repérer chez tout un chacun des prédispositions à certaines maladies afin de tenter d'empêcher ces pathologies de survenir ou en tout cas de mieux les contrôler. A l'heure où l'assurance-maladie s'enfonce dans des déficits abyssaux (plus de 20 milliards d'euros cette année), la génétique pourrait bien s'imposer comme un outil clé de la prévention.
C'est le cas dans la lutte contre« la maladie du siècle », l'obésité, qui touche plus de 5 millions de personnes en France (300 millions dans le monde). Une équipe dirigée par le professeur Philippe Froguel, du CNRS, est parvenue à établir il y a quelques mois la première« carte génétique » de l'obésité chez les Européens. Elle répertorie tous les gènes qui, chez l'enfant (obésité sévère) comme chez l'adulte, jouent un rôle sur l'appétit. Une étape capitale pour la mise au point de médicaments permettant de «bloquer les troubles de l'obésité». Ce que le Pr Froguel appelle «la nutrigénétique».
Le dépistage de l'hypertension artérielle fait aussi son chemin. L'enjeu est de taille puisque cette maladie, qui peut entraîner des troubles cardio-vasculaires et rénaux, est bien traitée par un médicament existant dans la pharmacopée. Parce que les tests sont encore trop chers, seuls les patients jeunes (moins de 30 ans), appartenant à des familles à gros risque, se voient proposer un test génétique. Pourtant, si la forme sévère de l'hypertension familiale est rare, beaucoup de personnes sont génétiquement prédisposées à cette maladie à un faible degré. «Plus on multiplie les tests, plus on a d'informations sur ces centaines de gènes de prédisposition et leur interaction entre eux. Ce qui permet de mieux cibler les traitements. On peut imaginer avoir un traitement qui ne sera approprié qu'à un cas sur un million», explique le professeur Xavier Jeunemaître, responsable de l'unité génétique de l'hôpital Georges-Pompidou, à Paris. Une perspective tout à fait «possible techniquement d'ici à cinq ans».
C'est sans doute en cancérologie que les tests génétiques sont aujourd'hui les plus répandus, notamment dans les familles où de nombreux cas de cancers du colon ou du sein ont été recensés. En France, chaque année, 1 500 femmes« à risque » se font tester dans l'un des 40 centres spécialisés de l'Hexagone. Un chiffre appelé à croître dans les années à venir, selon les médecins. On estime en effet qu'il y a dans notre pays 32 000 femmes de 25 à 75 ans ayant une prédisposition génétique au cancer du sein.
Mais gare aux erreurs de manipulation et aux mauvaises lectures ! Aux Etats-Unis, où l'on peut acheter certains tests génétiques au drugstore du coin comme on achèterait un test de grossesse, des femmes terrorisées devant un résultat leur prédisant un risque élevé de tumeur se font enlever les seins préventivement. «Il faut une interprétation intelligente et médicalisée de ces tests», préconise Claire Julian-Reynier, médecin épidémiologiste et directrice de recherche à l'Inserm, qui plaide pour «une labellisation de leur utilité» dans le cadre de la révision des lois bioéthiques. Selon elle, «il faut faire comprendre aux gens que ces tests en accès libre ne servent pas à grand-chose».
L'explosion de « la génétique pour tous » pourrait vite devenir le cauchemar de la communauté médicale, qui craint qu'une utilisation mal comprise et abusive de ces tests n'aboutisse à l'effet inverse à celui recherché : un relâchement de la prévention. «Nous avons tous 100% de risque de mourir!» ironise le professeur Claude Griscelli. Ce grand pédiatre, inventeur des greffes de moelle osseuse, qui ont sauvé 800 enfants bulles depuis trente-cinq ans, rappelle que l'environnement (alcool, tabac, alimentation...) joue un rôle capital dans la survenue de la plupart des maladies, génétiques ou non. «Il ne faudrait pas que les tests non génétiques de prévention soient annulés, prévient-il. Par exemple, ce n'est pas parce qu'une femme n'a pas de prédisposition génétique au cancer du sein qu'elle doit arrêter de faire des mammographies.» Par ailleurs, rappelle-t-il, le dépistage génétique dans les familles à risque ne peut en aucun cas suffire car «environ 30% des maladies génétiques ne sont pas transmises, mais acquises». La mutation du gène se produit au moment de la formation de l'embryon. Pour le Pr Griscelli, «il est donc totalement utopique d'imaginer éradiquer les maladies génétiques».
Et si le véritable apport de la génétique était l'avènement d'une médecine« sur mesure » ? C'est-à-dire la personnalisation des traitements en fonction du profil génétique de chacun. Car, non seulement nous ne sommes pas égaux devant la maladie, mais nous réagissons aussi différemment aux médicaments. Certaines cures inefficaces pour certains patients ou aux effets secondaires trop lourds sont parfaitement opérants pour d'autres ou bien supportés, notamment en cancérologie.
Par ailleurs, grâce à la connaissance intime du fonctionnement de nos gènes, on commence à savoir réparer ou inhiber les anomalies (ce sont les thérapies géniques et les thérapies moléculaires). Un espoir fou de guérison pour tous ceux qui souffrent d'une maladie génétique à l'issue fatale (20 % d'entre elles aujourd'hui). Et là aussi, on sait maintenant qu'il existe une foule de variantes de chaque maladie génétique pour laquelle on peut apporter une réponse ciblée (lire ci-contre). «La vraie révolution, c'est l'émergence de traitements à la carte», résume Laurence Tiennot-Herment, qui dirige l'Association française contre les myopathies (AFM), dont le célèbre Téléthon a permis d'accélérer le développement de la génétique en France. L'AFM finance actuellement 34 essais de thérapie sur l'homme. «La guérison n'est plus un mythe, mais une réalité», assure sa présidente.
Jusqu'où ira la révolution génétique ? La médecine prédictive va-t-elle prendre le pas sur la médecine thérapeutique ? Peut-on imaginer, étape ultime, un monde sans médecin, en quelque sorte déshumanisé ? Car la génétique fait la part belle aux chercheurs et va forcément grignoter le pouvoir des médecins. Le futur Institut des maladies génétiques, dont le bâtiment devrait s'élever d'ici à début 2012 sur le site de Necker, au cœur de Paris, devrait employer plus de 370 chercheurs pour une centaine de médecins seulement.
Comme toujours, la science va plus vite que l'éthique. Et la question des tests génétiques sera traitée dans la révision des lois bioéthiques l'an prochain. Lors des débats publics préparatoires, achevés à la veille de l'été, les participants - citoyens et scientifiques - ont exprimé leur inquiétude face «à l'explosion des tests prédictifs en vente libre» et recommandé «l'interdiction absolue de communiquer ces tests à une autre personne que le patient concerné», y compris au sein de la famille. Ils ont même inventé une nouvelle «liberté fondamentale» : le droit de ne pas savoir» !
Dossier réalisé par Christophe Doré et Sophie Roquelle
31/07/2009 | Mise à jour : 17:44
http://www.lefigaro.fr/lefigaromagazine/2009/08/01/01006-20090801ARTFIG00087--la-revolution-adn-.php